900 hectares de friches urbaines pour l'avenir de la ville

Publié le 3 Mars 2009

L'évolution de la forme, de l'image et de l'usage de Bordeaux a été le pari de la ville et l'obsession de son maire actuel, Alain Juppé (UMP). "Il y a une équation particulière à Bordeaux, reconnaît Bruno Fortier, Grand Prix de l'urbanisme 2002 et urbaniste conseil de la municipalité depuis cinq ans. Alain Juppé est passionné par le sujet."

Un an après son élection à la tête de la capitale girondine en 1995, M. Juppé, alors premier ministre, avait présenté le premier acte de son projet urbain. Avec, à la clé, deux révolutions : la construction du tramway, qui désormais quadrille la ville en étoile, et l'ouverture de Bordeaux sur la Garonne. Le but était d'éviter l'étalement urbain sur une vaste zone continue, de Libourne à Arcachon.

Treize ans plus tard, cette première phase est achevée "à presque 100 %", selon le maire de Bordeaux, qui vient de présenter l'acte II du projet urbain. Lundi 2 mars, dans les salons de l'hôtel de ville, devant un parterre d'architectes, d'urbanistes et de promoteurs immobiliers, il a présenté sa vision de la ville "à vingt ans" qui doit servir de base à la concertation avec les professionnels et les habitants. "L'objectif est de faire de Bordeaux une métropole durable à l'échelle humaine, a déclaré M. Juppé. Je suis au début de mon nouveau mandat de maire, il est temps de passer à une autre étape et de faire passer un message de confiance dans cette période de crise."

Aujourd'hui, Bordeaux et huit communes périphériques comptabilisent 43,8 kilomètres de tramway, transportant 170 000 voyageurs par jour avec, sur certains secteurs, une fréquentation supérieure de 20 % à celle des bus avant l'arrivée du tramway. L'immobilier d'entreprises a connu des années euphoriques jusqu'à fin 2008 et les prix ont retrouvé des valeurs dignes d'une capitale régionale. Enfin, la ville, qui avait perdu 22 % de ses habitants entre 1962 et 2000, a connu une des plus fortes poussées démographiques françaises sur la période 1999-2006 (+ 7 %). La population nouvelle est plutôt jeune, familiale, diplômée, soucieuse de l'environnement et de la vie urbaine. "Les quartiers bourgeois traditionnels n'ont pas bougé alors que les anciens quartiers populaires (Chartrons, Saint-Pierre, la Bastide) se sont "boboïsés"", confirme Thierry Oblet, maître de conférences en sociologie à l'université Bordeaux-II, spécialiste des politiques urbaines.

L'acte II du projet urbain de la ville vise à mettre en cohérence des projets pour la plupart déjà connus. Il s'appuie sur une situation unique : de Bordeaux-Nord à la gare Saint-Jean, la ville dispose d'un chapelet de friches, d'anciens terrains industriels ou laissés à l'état sauvage, soit près de 360 hectares le long de la Garonne, 900 en intégrant le bâti existant. Le maire et les techniciens appellent cet axe "l'arc de développement durable" : six zones identifiées avec, pour chacune d'elles, un projet mixant habitat, bureaux et espaces publics. Le tout sous la double contrainte du développement durable et de la mixité sociale, des mentions désormais obligatoires dans tout programme urbain. "Ces friches sont une chance fantastique pour l'avenir de Bordeaux et de l'agglomération, assure Michel Duchène, adjoint d'Alain Juppé et vice-président à la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB) chargé de l'urbanisme. Elles sont idéalement placées, souvent à une dizaine de minutes du centre-ville."

Ce projet s'articule aussi autour des deux futurs franchissements de la Garonne. De nouveaux quartiers doivent sortir de terre, irrigués par un transport en commun en site propre : deux au nord, autour du pont levant Bacalan-Bastide, avec l'aménagement des bassins à flot rive gauche et, sur l'autre rive, la création ex nihilo d'un quartier d'habitations et de bureaux jouxtant un vaste parc longeant les quais.

Au sud, autour du pont Jean-Jacques-Bosc, Euratlantique est le projet emblématique des nouvelles ambitions de Bordeaux. Les élus souhaitent y aménager un quartier d'affaires et d'habitations en mettant à profit la nouvelle ligne TGV qui, en 2016, mettra la ville à deux heures de Paris. D'ici à la fin de l'année, le projet devrait être classé "opération d'intérêt national".

Il s'étale sur 170 hectares et concerne deux autres villes : Bègles, mitoyenne de la gare, et Floirac, sur la rive droite. Le rééquilibrage entre les deux rives fait partie des points forts du projet. Pendant des siècles et jusqu'à la fin des années 1990, la rive droite était le miroir industriel, populaire, canaille et pauvre de la rive gauche. Au total, la municipalité attend "au moins 30 000 nouveaux habitants" d'ici à 2030, des dizaines de nouvelles entreprises, un rayonnement européen et des innovations en matière de construction.

L'urbanisme a toujours été une arme politique pour M. Juppé. En 1995, il avait su mettre à profit sa position de président de la Communauté urbaine, qui regroupe 27 villes. "Le premier projet était celui d'une ville pauvre, financé par la CUB", résume Francis Cuillier, directeur de l'agence d'urbanisme Bordeaux métropole Aquitaine (A'Urba) qui a participé au premier projet urbain. La municipalité, lourdement endettée à l'époque, n'avait pas les moyens de financer son projet.

En même temps, les maires de la Communauté urbaine souhaitaient le renforcement du centre de l'agglomération et un transport en commun après les longues tergiversations du projet de métro. "Après avoir tiré avantage des premières années de la décentralisation, les villes de l'agglomération se sont rendu compte que l'enlisement de la ville-centre, son image négative de ville repoussoir, leur étaient, par ricochet, préjudiciables", analyse M. Cuillier.

Aujourd'hui, la donne a changé. Le président de la CUB - responsable notamment des zones d'aménagement concertées (ZAC), nombreuses dans les projets bordelais -, est un jeune maire socialiste du quadrant nord-ouest, Vincent Feltesse. La politique d'embellissement de Bordeaux est engagée, son image redorée, et les communes périphériques se font concurrence pour se développer à leur tour.

Bordeaux va devoir, toutefois, limiter ses ambitions. "En tant que président de la CUB, jamais Vincent Feltesse n'accordera à Bordeaux les montants pharaoniques qu'il va falloir trouver pour ces projets, estime un bon connaisseur de la politique locale. La notion d'intérêt général du second projet urbain sera difficile à faire passer en intercommunalité, car tout se passe sur la base du troc entre communes. Et le président de la CUB doit composer avec une majorité socialiste composite et exigeante." Pour limiter les difficultés, M. Juppé, vice-président de la CUB, a pris en charge le projet Euratlantique, et il a imposé un de ses fidèles, Michel Duchène, comme délégué aux projets d'urbanisme à la CUB.

L'enjeu est de taille, et c'est, assure son entourage, le principal centre d'intérêt du maire de Bordeaux pour les cinq ans à venir. "Maintenant, il ne faut pas se tromper sur le souffle urbain et architectural à donner, prévient M. Fortier. Bordeaux dispose d'une façade XVIIIe unique et d'un fleuve avec une courbe naturelle extraordinaire. Il faut prendre tout cela en compte."

Claudia Courtois

Rédigé par jean

Publié dans #La ville

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